Le Déserteur, roman, Albin Michel
Grand Prix du Roman de la Société des Gens de Lettres

Premier extrait :

« Notre mère portait en elle, inné, le respect de la vie. Tu ne tueras pas. C’était écrit. Ni la mouche, ni l’araignée, ni la souris, ni l’oiseau dans l’arbre, ni le têtard dans l’eau. L’unique loi de mort qu’elle acceptât concernait les malheureux animaux domestiques, chevreau, agneau, porcelet, poulet, lapin… dont il fallait nourrir les siens dimanches et jours de fêtes. La seule viande jamais servie. Mais elle n’aurait pas mis d’elle-même la main à la mort. Elle surveillait de loin, avec horreur, notre père qui égorgeait le lapin, tordait le cou au poulet, saignait le porc ou l’agneau. Il avait fait la guerre, lui qui avouait sans vergogne – quand il avait bu – avoir étripé l’un ou l’autre Russe. 
– Tais-toi ! Tu devrais avoir honte et demander pardon chaque jour que Dieu fait au Maître de la vie et de la mort. »

Second extrait (lettre du père à son fils soldat): 
« La guerre est une horreur, fils, je sais de quoi je parle. Ne va pas croire mes vantardises d’autrefois, quand j’avais bu. Non, je ne suis pas un héros… J’ai tiré à l’aveuglette, dans le tas, comme les autres, je me suis servi de ma baïonnette et j’ai étripé pour n’être pas étripé moi-même, oui,  j’ai tué des êtres humains, j’en ai abandonné se tordant de douleur en retenant leurs boyaux, j’ai marché sur des mourants, écrasé des visages dans ma terreur… J’ai été un assez beau salaud et je veux que tu le saches. »